D’où vient cette crise majeure?
D’abord, d’où vient la Crise entre le Qatar et ses Voisins? Si elle est la plus grave depuis la création du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) en 1981, elle n’est pas la première. En 2014, Riyad, Abou Dhabi et Manama avaient retiré pendant huit mois leurs ambassadeurs du Qatar (sans rupture des relations diplomatiques et de blocus).
Les griefs entre le Qatar et notamment l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis sont donc anciens mais le véritable catalyseur de la crise de cette semaine est la nouvelle administration américaine.
Alors qu’en 2014, les raisons de la brouille faisaient suite au printemps arabe et à la résurgence et au soutien des Frères Musulmans – parmi d’autres groupes islamistes – par le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont vu ces groupes et ce mouvement comme une menace fondamentale envers leurs existences. par exemple, le coup d’État soutenu par l’Arabie saoudite et les EAU en Egypte en 2013 était censé remettre les mouvemennts des Frères Musulmans et le Qatar à leur place, ce qui a été le cas dans une large mesure. Doha a cependant continué à abriter la Confrérie sur son sol, comme le dirigeant du Hamas, ce qui reste un obstacle dans les relations avec d’autres membres du Conseil de Coopération du Golfe, dont l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Doha avait aussi soutenu des groupes entre 2011 et 2013 notamment dans ces « guerres civiles du Golfe » par procuration. En Libye, les « Brigades de défense de Benghazi » ont été liées au Qatar tandis qu’en Syrie, Doha a soutenu des groupes militants rivaux de ceux soutenus par l’Arabie Saoudite.
Pourquoi cette crise éclate maintenant?
Les experts ont avancé plusieurs raisons. Une explication est celle du renforcement de la relation entre Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et leur volonté en commun de couper le Qatar du Hamas. De même, les relations de Doha avec Téhéran inquiètent Riyad et Abu Dhabi notamment en raison de deux appels téléphoniques récents entre l’Emir Tamim Al-Thani et le Président Hassan Rouhani.
Le veritable vecteur de la crise fut cependant l’attitude de la nouvelle administration américaine. Donald Trump et son équipe ont envoyé le message que Washington sera un allié beaucoup plus ferme que la précédente présidence américaine dans la région. Du point de vue de Riyad et Abu Dhabi, la nouvelle administration américaine leur a donné l’autorisation d’agir fortement contre leur ennuyeux voisin, le Qatar. Il s’agit donc d’isoler l’Iran mais aussi de faire quelque chose sur le front dérangeant des liens entre certains pays du Golfe, dont des Saoudiens et des Koweïtiens à des organisations extrémistes telles que Al-Qaïda et l’Etat islamique (voir à ce propos le livre le Christian Chesnot et Georges Malbrunot, “Nos très chers émirs”). Ceci inclut aussi des citoyens qatariens et des pressions existantes aux Etats-Unis, comme au Congrès, pour que des actions soient prises. Cela pourrait aller jusqu’au déménagement des installations militaires du Qatar, incluant actuellement le CENTCOM et une base aérienne majeure.
Dans ce contexte, la charge contre le Qatar est un moyen de lâcher du lest en pointant du doigt vers un coupable “idéal”.
Lundi 5 juin, le Qatar recevait Youssef al-Qaradawi. Que cela signifie-t-il?
Nous pouvons certainement voir cette rencontre à deux niveaux. Tout d’abord, elle illustre la volonté du Qatar de ne pas se laisser dicter son comportement par d’autres Etats, fussent-ils les Etats-Unis ou des régimes voisins du Conseil de Coopération du Golfe. Le Qatar a en effet toujours suivi une politique étrangère indépendante et se démarque par sa volonté de parler à tous les acteurs régionaux, quels qu’ils soient (en quelque sorte sa « marque de fabrique »). La rencontre avec Youssef al-Qaradawi peut également être vue comme un entretien qui a pour but de voir comment tactiquement répondre à cette mise au ban du Qatar sur la scène régionale et les suites donner à la relation avec les Frères Musulmans.
Est-ce qu’on peut s’attendre à une rupture des liens entre le Qatar et les Frères Musulmans ?
Pas véritablement sur le fond. Si la pression devient trop forte sur le Qatar, l’émirat prendra alors ses distances comme il l’a fait en 2014 lors du précédent incident diplomatique entre Doha, Riyad, Abou Dhabi et Manama. Ces trois pays avaient alors retiré pendant huit mois leurs ambassadeurs du Qatar mais sans rupture des relations diplomatique et à l’instauration d’un blocus contre Doha. Le Qatar avait à ce moment réduit sa relation avec la confrérie mais sans toutefois revenir sur l’essentiel de la relation stratégique entre les Frères Musulmans et l’émirat. L’incident actuel est bien le plus grave en revanche mais l’intensité de la rupture des liens entre le Qatar et les Frères Musulmans dépendra certainement de la position des Etats-Unis dans les semaines suivantes et de la volonté de l’administration Trump de mettre la pression sur le Qatar – notamment afin d’isoler l’Iran – en s’appuyant sur Ryad et Abou-Dhabi.
Dans l’optique d’une telle hypothétique rupture, le prix à payer serait certainement plus élevé pour les mouvements issus de la confrérie, que le Qatar a soutenu financièrement – comme le Hamas – ou bien médiatiquement, notamment avec sa chaine télévisée Al-Jazzera. Cela dit sur le Qatar s’engage dans un bras de fer avec les membres du Conseil de Coopération du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, les dégâts à court terme peuvent être rapidement importants. Sa seule frontière terrestre, dont l’émirat dépend pour son approvisionnement en nourriture – importée majoritairement – est fermée, et les conséquences économiques peuvent être majeures (par exemple pour Qatar Airways) pour Doha.
Une remise en question de la relation forte entre le Qatar et les Frères Musulmans ne changerait pas trop la politique étrangère du Qatar dans la région finalement puisque Doha avait déjà revu à la baisse ses ambitions régionales afin de se concentrer sur une politique traditionnelle de médiations comme cela a été le cas en Syrie avec l’accord dit « des quatre villes ». En Libye le Qatar a cessé ses livraisons d’armes et soutient le processus de réunification patronné par l’ONU.